REAL MADRID : CINQ QUESTIONS POUR TOUT COMPRENDRE DE LA POLÉMIQUE QUI TOUCHE FLORENTINO PÉREZ
- Par la Rédaction
- 20 juil. 2021
- 8 min de lecture
LIGA – Depuis lundi dernier, Florentino Pérez est au cœur d’une tornade médiatique venue d’Espagne. Le journal El Confidencial a dévoilé une série de phrases assassines du président madrilène, dirigées contre des joueurs, des entraîneurs ou des journalistes, prononcées entre 2006 et 2012. Voici tout ce qu’il faut savoir, et comprendre, autour des enregistrements polémiques.

QUE CONTIENNENT LES ENREGISTREMENTS ?
Les audios pourraient être répartis en deux groupes. Constituée de tous les passages concernant le personnel sportif du Real Madrid, la première salve a enflammé les réseaux sociaux du monde entier. Pour Pérez, Casillas est "un chien de salon, un pauvre homme, un pantin". CR7 ? "Un imbécile, un malade. Vous croyez que ce type est normal, mais il ne l'est pas". Del Bosque, l'un des trois meilleurs entraîneurs de l'histoire du club ? "Il n'a jamais entraîné de sa vie, ni ne sait entraîner, ni diriger des personnes, il ne connaît pas la tactique, il ne connaît pas la préparation physique. Il ne sait rien. C'est un abruti". Raúl, Ronaldo Nazario, Mourinho, la Quinta del Buitre voulant vivre aux crochets du club pour le restant de ses jours, quantité de légendes madrilènes ont un qualificatif dépréciatif soigneusement choisi par le président. Il y aurait là de quoi faire un onze de départ !
Et puis il y a le deuxième groupe d'audios, dont la publication n'a pas hérité de la même lumière. Ici, on laisse derrière nous les histoires croustillantes du football pour entrer de plein pied dans le monde du pouvoir. Moins sensationnalistes, ces extraits sont pourtant d'une importance capitale pour comprendre le poids de Florentino Pérez outre-Pyrénées. Entre quelques insultes dirigées aux journalistes, il explique par exemple qu'il a placé untel à la tête de Marca en faisant pression sur le directeur d'un titre du même groupe. Il partage aussi ses plans imminents pour mettre fin à El Rondo, un programme débattant du football à la télévision publique. Il révèle également son intention "d'isoler" deux journalistes stars faisant partie du groupe Prisa (Cadena Ser, As, El País), un groupe avec lequel les relations ont souvent été houleuses : "ceux de Prisa il faut les connaître. Ils sont comme ils sont. Ce sont des fils de p***", s'emporte l'homme d'affaires. De la grille des programmes aux postes les plus prisés du paysage médiatique, Florentino a son mot à dire.
D'OÙ VIENNENT CES ENREGISTREMENTS ?
Les enregistrements sont issus de conversations privées entre Florentino Pérez et le journaliste José Antonio Abellán. Entre 2006 à 2012, les deux hommes se sont vus à plusieurs reprises. Durant ces discussions informelles, les langues se délient et le dirigeant vide son sac. Ce qu'il ne sait pas (?), c'est qu'Abellán l'enregistre à son insu. À cette époque, le journaliste et le président avaient une bonne relation. Et pour cause, ils avaient un intérêt commun : Ramón Calderón. Florentino a beau avoir quitté la gouvernance du Real en 2006, il suit toujours de près les affaires du club. En réalité, dès l'instant où il a claqué la porte, il a commencé à préparer son retour. En ce sens, Calderón fait office d'obstacle sur son chemin. Contrairement à d'autres candidats à l'élection de 2006, ce n'est pas un proche de Pérez.
Si Calderón venait à être élu, l'idéologue du projet Galactiques perdrait de l'influence au sein du club et son retour s'en verrait affecté. "Il a tenté que je ne me présente pas à l'élection par tous les moyens et me l'a expressément déconseillé lors d'un déjeuner à l'hôtel Eurobuiliding. Il a insisté pour que j'abandonne et que je me présente avec Villar Mir ou Fernández Tapias, les gens proches de sa cause", racontait Ramón Calderón en 2019 au Confidencial.
De son côté, José Antonio Abellán tire aussi à boulet rouges sur Ramón Calderón, finalement devenu président du Real. Depuis son prestigieux poste de directeur des sports de la COPE, l'une des radios les plus écoutées du pays, il participe à la fronde médiatique orchestrée par plusieurs rédactions à l'encontre de Calderón. Ce dernier se voit accusé d'avoir manipulé les élections de 2006, d'utiliser les comptes du club pour ses affaires personnelles, d'avoir truqué l'assemblée des socios de 2008. Il aura beau être blanchi sur toute la ligne par la justice dans les années qui suivront, à l'époque, sa réputation tombe en ruines.
Étranglé de toutes parts, il quitte le navire merengue en janvier 2009. Pour Pérez, la voie royale est à nouveau déployée ! Sans que ça n'ait été son objectif initial, Abellán a contribué à la cause de Florentino. En juin 2009, l'ingénieur fait son retour à la tête de la Maison Blanche. Une poignée de jours plus tard, il destine ces quelques mots à José Antonio Abellán sur les ondes de la COPE : "le Real Madrid va ressortir renforcé de tout ça grâce à des personnes comme vous qui durant toutes ces années ont raconté la vérité au sujet de qui se passait au sein du Real Madrid".
QUE NOUS APPRENNENT-ILS ?
Finalement… pas grand-chose. Le peu d'estime de Pérez pour Iker Casillas était connu de tous dans le microcosme madrilène ; il lui a toujours préféré Gianluigi Buffon. Il en va de même pour son manque de considération à l'égard des entraîneurs. Il suffit de voir la liste de tous ceux virés par ses soins… Pas de quoi non plus sauter au plafond au sujet des relations entre El Presi et les grands joueurs. Plus ils prennent de la place, moins le président les tolère. Au vu de la situation dans le vestiaire à l'époque, ses médisances envers Figo, Hierro, Raúl ou Ronaldo étaient dans l'ère du temps.
"En 2006, après avoir perdu à Majorque, vous revenez complètement désenchanté : désenchanté avec les joueurs, les Galactiques, les moins Galactiques. Et vous démissionnez", rembobinait le journaliste José Ramón de la Morena au septuagénaire lors d'une interview au début de l'été. En face, ce dernier ne souscrivait pas à cette version des évènements. Pourtant, les audios parus récemment le trahissent : "les joueurs sont très égoïstes. On ne peut compter sur eux pour rien et celui qui compte sur eux se trompe. Ils te laissent plantés. J'ai une perception horrible des joueurs. Et j'en ai vu des collectifs, mais jamais un pareil à celui des joueurs", confiait-il à son interlocuteur en 2006.
Rien de surprenant alors ? Même pas les passages où il déploie l'étalage de sa toute-puissance dans des sphères dépassant le football ? Eh bien oui et non. Ou pour être précis, non et oui. D'un côté, en Espagne tout le monde sait. Tout le monde sait que Florentino (le personnage est d'ailleurs si familier que peu de monde l'appelle par son nom de famille) est l'un des hommes avec le plus de pouvoir du royaume et tout le monde sait qui sont ses amis dans les médias ou dans les hautes sphères politiques.
Au cours des années, les témoignages sur ses ingérences dans les médias étaient monnaie courante. Avec Marca, il avait par exemple utilisé une stratégie assez simple en 2016 : tant que le directeur en place ne changerait pas, tout accord promotionnel entre le Real Madrid et le journal serait suspendu. Il obtiendrait gain de cause. "Le président du Real Madrid ajoutait un cadavre supplémentaire dans son armoire, ordonnait la reprise des accords promotionnels entre le club et l'entreprise et confirmait que le sort d'un directeur de journal en Espagne dépendait de tout sauf de la qualité de son travail", écrit dans son livre El Director, David Jiménez, ancien directeur d'El Mundo.
D'un autre côté, Pérez s'est toujours refusé à valider l'influence qu'on lui prête. On dit par exemple qu'en Espagne, être président du Real c'est avoir l'importance d'un ministre. "Moi quelqu'un de puissant ? Je suis puissant dans la mesure où je suis président du Real Madrid. Sinon, je ne serais même pas connu", réfutait-il dans une interview à la Sexta en 2014.
On dit aussi que la concentration de pouvoir dans le carré VIP du Bernabéu est inégalée sur tout le territoire de la péninsule. Les jours de match, il accueille des politiciens de tous bords, juges, entrepreneurs, directeurs de grands médias, artistes. L'endroit idéal pour faire des affaires. Mais là aussi, rejet en bloc du milliardaire. "Des affaires dans le carré VIP du Bernabéu ? Non, certainement pas. Jamais. Ça c'est un cliché qui émane de gens malintentionnés", poursuivait-il dans une plaidoirie désarmante de simplicité. Pourtant, les audios parus cette semaine mettent à mal cette ligne de défense. En plus du contrôle exercé sur les médias, on y entend aussi le vice-président du club, un homme de confiance de Pérez, confirmer l'idée selon laquelle le Real a ouvert des portes à son président dans le mondes des affaires.
POURQUOI LES ENREGISTREMENTS SORTENT-ILS MAINTENANT ?
C'est LA grande question. Dans l'entre-soi des journalistes madrilènes, ces enregistrements étaient connus de tous. "Peu après le retour de Florentino, Abellán m'a proposé trois fois de suite du matériel pour AS qui, selon lui, ferait exploser le club", reconnaissait mardi passé l'ex-directeur du journal AS, Alfredo Relãno. Selon Onda Cero, Abellán avait proposé au club de détruire les bandes en échange de dix millions. En plus d'avoir démenti, le principal intéressé a aussi contesté être à l'origine des fuites. Pour sa part, El Confidencial dit ne pas avoir déboursé un centime pour le matériel. Le mystère reste entier quant à l'origine de la fuite.
Pour le timing et la cause, on peut toutefois se risquer à émettre des hypothèses. Ce n'est sûrement pas un hasard si les documents se sont retrouvé dans les lignes d'El Confidencial et pas ailleurs. De tous les grands médias espagnols, c'est le plus critique envers "El Ser Superior" (l'être supérieur, un surnom ironique dont il est parfois affublé). Pré-fiasco Superleague, le dernier grand coup médiatique porté au plus haut mandataire du Real provenait précisément d'El Confidencial. Le titre avait publié une interview XXL de Ramón Calderón où l'ex-président pourrissait à longueur de question son successeur sur un ton mi-moqueur mi-vindicatif.
En outre, il s'agit ici d'un média proche des milieux économiques, et ça, ça compte. Actuellement, Pérez et sa compagnie ACS sont en dispute avec Iberdrola, l'une des firmes les plus importantes de tout le pays (l'équivalent d'EDF en France). Au sommet de l'IBEX 35, les deux parties s'attaquent à coup de plaintes et de requêtes auprès des juges. L'une des tactiques adoptées par l'entreprise de Pérez consiste à endommager la réputation de sa rivale, en appuyant sur le fait que son président est actuellement mis en cause par la justice dans une affaire d'espionnage dont le chef d'ACS avait été victime en 2009 (des détectives avaient été engagés pour obtenir des informations compromettantes sur sa vie privée). Alors, il est possible que du côté des dirigeants d'Iberdrola, on riposte en adoptant le même procédé : salir la réputation d'un Florentino déjà fragilisé par le fiasco de la Superleague. Possible, mais pas certain.
QUELLES CONSÉQUENCES POURRAIT-IL Y AVOIR POUR PÉREZ ?
Quasiment aucune. Du côté de la presse locale, l'attention accordée à ces audios a été dérisoire (à part dans les médias catalans). Sur la télévision publique, silence absolu. Les dirigeants ont interdit aux journalistes d'aborder la question. Quant au reste de la profession, les critiques à l'égard des méthodes employées ont été féroces. "Vols de mots", "le contraire du journalisme", "tolérance zéro envers celui qui s'est procuré les enregistrements", quantité de journalistes sportifs ont condamné les fuites. Les uns parleront de conscience professionnelle, les autres de double-standard. La divulgation du contrat de Messi n'avait pas provoqué les mêmes réprobations…
Finalement, les débats ont surtout été menés dans les médias étrangers et sur les réseaux sociaux. Et contrairement aux attentes, les mots de "Florenthanos" ont globalement été bien reçus par les supporters du Real en Espagne. Pour une fois, le président s'écarte des discours convenus. Il se transforme en supporter exhalant toutes ses frustrations par l'intermédiaire d'un vocabulaire remarquablement fleuri. Ses insultes sont mêmes devenues cultes.
"Ce qui me marque le plus à propos des enregistrements est le naturel avec lequel Florentino Pérez descend sur terre et se transforme en un Argentin comme les autres, dans sa sublimation du supporter énervé et grossier qui détruit tout sur son passage. Parce que le football a aussi été inventé pour cela : pour que dans des ambiances prétendument intimes on puisse mentionner la mère du gardien, le QI du milieu de terrain et le régime riche en glucide du gros qui n'a même de cerveau pour faire une bonne tête", s'amusait très justement l'essayiste Rafa Cabaleira dans El País.
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