top of page

Le Dr Fridolin Nke présente les clés pour mettre fin à la guerre au NoSo

Lire sa tribune parvenue à la rédaction d’Actu Cameroun avec pour titre : conversations nocturnes autour de la guerre au NoSo.


Depuis plusieurs jours, des internautes m’interpellent, inbox, sur plusieurs sujets d’actualité nationale et internationale, dont celui des crimes abominables qui sont perpétrées actuellement dans les régions de l’ex-Southern Cameroons. Il s’agit de meurtres particulièrement dégueulasses, des images insoutenables qui défient le goût et dépassent l’entendement. Parmi ces voix interpellatrices, il y a une qui est très remarquable, par la pertinence et la profondeur de ses analyses. Il s’agit d’un de mes collègues de l’université de Yaoundé I. Voici, ci-dessous, le contenu des échanges que nous avons eus autour du problème de la guerre au Nord-ouest et au Sud-ouest.


Mon collègue philosophe :


– Tu as recommandé aux soldats camerounais en service dans le NOSO de ne pas obéir aux ordres de la hiérarchie militaire. Voilà donc un cas concret : que préconises-tu ? À ton avis, le Cameroun doit-il rester Un et Indivisible, ou bien le Président de la République, en violation du prélude de la Constitution, doit-t-il accepter le principe de la sécession ? Tu as dit en effet : « Je suis contre la guerre du NOSO ». Est-ce une question de type « pour ou contre » ? »


J’ignore si cette vidéo fait effectivement le reportage de la mise à mort d’une dame, sénatrice, par des Ambazoniens. J’en ai vu d’autres, en tout cas, tout autant horribles, comme cette autre dame qu’on traînait nue au sol, et qu’on avait fusillée en tirant sur son sexe entrebâillé. Tu as recommandé aux soldats camerounais en service dans le NOSO de ne pas obéir aux ordres de la hiérarchie militaire. Voilà donc un cas concret : que préconises-tu ? À ton avis, le Cameroun doit-il rester Un et Indivisible, ou bien le Président de la République, en violation du prélude de la Constitution, doit-t-il accepter le principe de la sécession ? Tu as dit en effet : « Je suis contre la guerre du NOSO ». Est-ce une question de type « pour ou contre » ? Ça veut dire quoi, être contre la guerre du NOSO ? Que préconises-tu face à de telles atrocités ? C’est ça le problème.


Moi :

– Prof.,

Quand on se battait, Bahebeck, Essomba, moi et quelques autres pour que cette guerre ne soit pas amplifiée, vous disiez que nous combattons le régime ; que nous sommes des anti-patriotes. Voilà le résultat du silence complice, coupable, des universitaires : des assassinats répugnants commis par des monstres dont personne ne peut véritablement établir l’appartenance dans les différents camps qui s’affrontent dans l’ancien Southern Cameroons.

Prof.,


Comment pouvez-vous sensément vous intéresser aux conséquences que sont ces horreurs sans s’intéresser aux causes et aux solutions efficaces pour mettre un terme à ce carnage ? Je n’ai pas à dire au gouvernement ce qu’ils ont à faire, puisqu’ils disent qu’ils maîtrisent leur sujet. Mais j’analyse la situation en fonction de ce que les repères de notre histoire me permettent de comprendre et de l’horizon historique que cette conjoncture permet de baliser. Cette guerre est une bêtise absolue que le régime (certains faucons bien identifiés) et les réseaux françafricains entretiennent pour se remplir les poches et préparer sereinement la transition. Je ne vais donc pas accepter de jouer aux penseurs de l’émotion pour leur rendre service. Non !


C’est, au moins, un mensonge de dire que j’avais demandé aux soldats de ne pas obéir aux ordres de la hiérarchie militaire, au pire, c’est de la calomnie. J’avais dit et je l’ai répété devant mes bourreaux à la SEMIL : JE DEMANDE AUX SOLDATS DE NE PAS OBÉIR AUX ORDRES ILLÉGAUX ET ILLÉGITIMES. Ça veut dire, en langage de quartier, ceci : si tu es un soldat engagé dans le champ de bataille et que ton Chef te demande de brûler les maisons des gens, de torturer, de tuer des gens désarmés, de profaner des cadavres, comme le font d’authentiques criminels, NE LE FAIS PAS PARCE QUE C’EST TON SUPÉRIEUR HIÉRARCHIQUE, parce que tu vas en répondre tout seul. La responsabilité, dans ce cas, est individuelle.


L’autre chose, c’est que si quelqu’un aime beaucoup la guerre, il va au NOSO lui-même faire la guerre. Qu’on n’envoie pas les adolescents des autres, des avenirs des familles se faire égorger et assassiner pour le plaisir des professeurs d’université pro-guerre et autres théoriciens du chaos lent, ou de quelques Chefs militaires cupides et immoraux qui, eux, s’engraissent avec ces meurtres en série, assis dans leurs bureaux climatisés à Yaoundé, comptant dans les espèces sonnantes et trébuchantes qui tombent (par miracle) dans leur coffre-fort.


Prof.,

Je m’oppose à cette guerre qui est aussi stupide que budgétivore. L’arrogance, le mépris, l’aveuglement, le crime et la cupidité qui y ont conduit caractérisent ce régime si fort que tout ce qu’il touche pourrit. C’est mon avis. Et je sais qu’il vous est insupportable. La question n’est même pas celle du respect de la constitution, mais plutôt celle du respect de la volonté générale que cette constitution (celle du 18 janvier 1996) et les constitutions précédentes ont allègrement violées. Je ne vous ferai pas l’offense de rappeler la forfaiture qui en a toujours sous-tend l’adoption…


Que doit faire le Président de la République actuellement ? Je réponds qu’il doit réparer les erreurs du passé en donnant l’impulsion décisive pour une Nouvelle République articulée autour d’un nouveau contrat social, assortie d’une technologie différente de l’aménagement du territoire et de la gestion du pouvoir. Les menaces et la force brute nous conduisent à l’abîme. Seule l’intelligence doit prévaloir. D’où l’importance, aujourd’hui, de jeter les ponts entre nos deux communautés linguistiques et culturelles en faisant dialoguer les intellectuels des deux bords du Mungo.

Bonne soirée Prof. !


Mon collègue philosophe :


– Je n’ai pas encore lu, excepté les premières lignes. Je suis encore occupé. Mais je n’aime pas les expressions ‘Quand nous … vous » Il faut parler pour soi, et je ne me reconnais pas dans ce « vous ». Tu ne sais rien de ma participation d’une trentaine de pages au Garnd Débat National

Je te remercie pour les précisions que tu as apportées dans ta réponse à mes préoccupations sur ta position relative aux atrocités commises dans le NOSO. Cette position reflète-t-elle la pensée du trio dans lequel tu t’insères ? Le front contre la guerre du NOSO est-il uni et représente-t-il une même ligne éditoriale ? Je me rappelle ce que j’ai entendu Dieudonné Essomba déclarer : pour lui, ce que veulent les Ambazoniens, c’est l’État fédéral. J’ignore si cette thèse est partagée par « les Trois ». Si oui, je pense qu’il serait raisonnable d’aller tenir à Bamenda une conférence où on défendrait une telle thèse ; on en expérimenterait la pertinence à la réaction de l’auditoire, qui manifesterait par des applaudissements bien nourris sa joie d’avoir été bien compris. Si la solution est si simple, pourquoi parle-t-on donc d’Ambazonie ? Je persiste à penser que les partisans de l’Ambazonie parlent d’un nouvel État, qui naîtrait de la victoire d’un mouvement sécessionniste. Si la thèse de Dieudonné Essomba est représentative de la position des Trois, c’est donc aussi forcément ce que tu penses ; sinon, ce serait entre lui et toi une divergence décisive.


Je suis de ton avis qu’il se commet dans le NOSO des « crimes répugnants », et qu’ils sont perpétrés « par des monstres » : je t’ai pris l’exemple filmé de cette pauvre dame assassinée comme traîtresse à la cause ambazonienne, traînée nue, sans pitié, je suppose dans le strict respect des droits de l’homme compris à l’envers, par des Ambazoniens qui l’ont, après mille et un sévices corporels, fusillée à travers l’orifice entrebâillé de son sexe. Quand on est « contre la guerre », on ne devrait pas fermer les yeux sur des actes aussi barbares, qui sont loin de pouvoir susciter le ralliement à la cause ambazonienne. Je me rappelle une vidéo virale, qui a circulé il y a quelques années : des enfants, habillés de leur uniforme, tout contents de regagner les classes après une année blanche qui leur avait été imposée, furent contraints de patauger dans la boue, humiliés d’une façon à nulle autre pareille par des milices de la cause sécessionniste.


Je ne sais pas ce qu’en pense l’enseignant et le militant des droits de l’homme et de l’enfant. Je constate, et j’en suis heureux tout en m’interrogeant sur la légitimité du combat pour la sécession de la partie anglophone du pays, qu’Obala, où je vis, est devenue une ville très cosmopolite, où des Anglophones ont beaucoup émigré pour permettre à leurs enfants de continuer tranquillement leur scolarité ; ils vivent en très bons termes avec les autochtones et les autres populations francophones. Si la cause ambazonienne est légitime, c’est-à-dire si elle a l’assentiment du peuple dans la partie anglophone du pays, qu’est-ce qui justifie cette émigration ? Il y en a un qui n’est pas allé aux obsèques de son père, de peur d’essuyer les représailles des va-t-en-guerre qui lui adressent régulièrement des lettres de menaces parce qu’il ne leur envoie pas de l’argent pour soutenir financièrement leur combat. On sait aussi que de telles ressources leur viennent aussi, en quantité importante, de l’étranger, à travers la diaspora, et même grâce à l’appui de lobbies importants ; je ne crois pas que la soi-disant Communauté internationale soit blanche comme neige dans l’alimentation de ce brasier. J’en parlerai dans mon livre sur Poutine si je parviens à le finaliser.


Ce n’est pas la peine de critiquer un phénomène, de dénoncer un état des choses si on n’a pas de solutions à proposer ; et c’est un prétexte inattendu que d’alléguer la prétention des hommes au pouvoir à maîtriser leur sujet. C’est de l’anarchisme, et je ne vois pas en quoi ça fait avancer quoi que ce soit. À la limite, on a le sentiment que certains se plaisent dans des situations de crises, pour avoir quelque chose à dire, et à dire contre le pouvoir parce que qui défie crânement le pouvoir gagne en célébrité : c’est une attitude qui vaut son pesant d’or par nos temps de mondialisation. J’enseigne que face à une situation de crise sur laquelle on est appelé à se prononcer, ou sur laquelle on a choisi de se prononcer parce qu’on se préoccupe de faire œuvre utile, la bonne méthode consiste dans une démarche en trois temps : 1). Analyse descriptive du phénomène ; analytique au sens kantien du terme; 2). Étude des causes et des conséquences du phénomène ; 3). Solutions préconisées. Sinon, il vaut mieux se taire ; car autrement, on développe un bavardage nuisible. Dans ma Contribution au Grand Dialogue National, que je publierai sans doute dans le livre dont je t’ai parlé, et qui porte sur les questions de gouvernance et de morale, c’est la démarche que j’ai adoptée : j’y ai dit que le combat Anglophones contre Francophones, l’anglophomanie et la francophomanie, les fracophomaniaques et les anglophomaniaques, c’est un combat de renégats ; je n’en dis pas plus dans cet échange.


Je voudrais attirer l’attention sur un passage que je trouve inconséquent, contradictoire : « Comment pouvez-vous sensément vous intéresser aux conséquences que sont ces horreurs sans [vous] intéresser aux causes et aux solutions efficaces pour mettre un terme à ce carnage ? Je n’ai pas à dire au gouvernement ce qu’ils ont à faire, puisqu’ils disent qu’ils maîtrisent leur sujet ». Ce passage dit une chose et son contraire. L’intellectuel, c’est, pour parler comme Kant, celui qui fait un usage public de sa raison dans tous les domaines, ce qui implique l’obligation de proposer toujours des solutions ; si l’on se limite à dire que ça va mal ou que tout va mal sans suggérer ce qu’il y a lieu de faire pour que ça aille bien ou mieux, on ne fait pas son travail d’intellectuel, ou bien on n’en est même pas un.


En tout cas, toi, tu ne t’es pas privé de proposer quelque chose aux soldats engagés dans les combats : « Je demande aux soldats de ne pas obéir aux ordres illégaux et illégitimes ». Je n’ai malheureusement pas de documents sonores qui me permettraient de confronter cette précision apportée à la SEMIL avec ce que tu avais dit avant. Quoi qu’il en soit, je ne sais pas si tu es vraiment célèbre parmi les combattants affectés dans le NOSO ; je te dirai, pour t’en informer en ce qui me concerne, que mon petit-frère y a été deux fois ainsi qu’à l’extrême-nord, contre Boko-Haram ; mon fils aîné a tué et a échappé miraculeusement à la mort dans des accrochages avec les combattants de Boko-Haram ; il est actuellement dans le NOSO, et il ne fait que son devoir ; mon neveu, fils d’un de mes frères, est également au front du NOSO. Je ne suis donc pas de ceux qui ne savent rien du stress de la guerre. À cela près, il est peu vraisemblable que ton discours moralisateur à l’adresse des combattants leur soit parvenu ; je ne pense même pas que des gens comme toi et moi soyons habilités à nous adresser aux soldats, et surtout à des combattants par temps de guerre : les compétences de l’intellectuel ne vont pas jusque dans les zones de combats. Et puis, est-ce la peine qu’un civil enseigne à un professionnel de la guerre qu’il doit éviter les crimes de guerre de peur d’être traduit en cours martiale ? L’Armée, comme tu as dû le constater, est une tradition dans ma famille depuis la génération de mon père ; et je puis te dire que les gens d’armes n’aiment pas les civils qui leur donnent des leçons de conduite, quels qu’ils soient.


Je termine mon intervention, que je n’ai pas le temps de relire, par le rappel de ce que j’ai toujours dit, de ce que je t’ai toujours dit : la philosophie est amour de la sagesse, c’est-à-dire que le philosophe, qui ne se dit jamais tel, est un optionnaire de la vérité, de l’honnêteté par conséquent : il fait toujours l’effort d’être maître de ses affections au sens où l’entend Spinoza, les affections se réduisant à trois affections de base dont toutes les autres dérivent directement ou par combinaison: le Désir, la Joie, la Tristesse. Je recommande sans cesse de lire traité de la chimie des affections qu’est l’« Éthique » de Spinoza. Le philosophe est un homme, et, en tant que tel, il peut éprouver des désirs, de la joie ou de la tristesse ; mais comme philosophe justement, il fait l’effort de ne pas agir sous le coup d’une affection au sens passif comme la colère, qui est un dérivé de la Tristesse et du Désir, ou comme la Joie, même de la joie du juste, car il y a aussi la joie du méchant, qui s’épanouit des malheurs d’autrui.


J’ajoute qu’on n’a pas, en tant que philosophe, raison de se vanter d’être impulsif : ce n’est pas une qualité, mais un défaut dans la mesure où elle diminue la puissance de penser de l’âme. Quant à moi, tu sais avec qui je suis en procès, et que j’ai écrit sur et contre Ni John Fru Ndi ou Titus Edzoa ; tu as lu, et enseigné ma pièce de théâtre, peut-être aussi mon premier essai : me traiter de conformiste serait donc contraire à la vérité.

Je reste cependant fier de toi si je considère ton niveau intrinsèque par rapport à certains professeurs titulaires.

Fils, je me suis assez expliqué pour prendre la permission de ne plus me sentir interpellé sur les sujets que je viens de traiter. Je te lirai donc dorénavant sans réagir.


Moi :

Prof.,

Merci de te donner autant de peine pour me répondre. J’en suis fort honoré. Lire ces longs développements que tu fais, en réponse à mes explications initiales, a si durablement enflammé ma vanité que je me suis surpris en train d’oser bricoler quelque chose, de peur de paraître trop stupide à tes yeux. Commencé à 23h 40, je viens de terminer la rédaction de cette réponse, avec soulagement, tout à l’heure, à 3h 02 minutes, ainsi que tu le verras dans le fils de nos discussions WhatsApp.

Merci donc du privilège que tu me fais de me considérer.

Prof.,

J’observe d’entrée de jeu que, quoique sincères, empreints de beaucoup de rigueur et sous-tendus par un formalisme démonstratif quasi imparable, tes arguments ne réussissent pas, malgré tout, à ébranler ma posture philosophique et mon positionnement politique sur ce qui, d’après moi, est en débat, à savoir, comment nous allons réconcilier avec nos sœurs et nos frères du NOSO. C’est cette interrogation qui me préoccupe. Poser cette question implique qu’on adopte une approche diachronique qui transcende les intérêts singuliers et les situations particulières pour mettre au cœur du débat la question de notre avenir commun, puisqu’on se met en position de pouvoir :

1- revisiter notre passé commun (la douloureuse construction de ce pays qui se délite sous nos yeux) ;


2- examiner le degré de dépolitisation ou d’abrutissement qu’impose l’État à la population ;

3- sonder les marges de nos libertés qui se meurent et aménager l’alternative ultime.

Prof.,

Je ne veux plus seulement savoir si votre fils reviendra vivant de cette expédition « coloniale » ; je veux aussi savoir si sa mission est moralement, politiquement, socialement justifiée.

Je ne veux plus savoir si le front contre la guerre est uni et s’il obéit à la même ligne éditoriale ; j’exige de comprendre pourquoi un tel aveuglément de tout un gouvernement pourtant au bord de l’asphyxie financière, dont les théoriciens vantaient la puissance de feu de l’armée et qui, actuellement, se mirent dans un odieux et coupable silence ; je veux qu’on me disent surtout pourquoi on refuse d’économiser les puissantes énergies juvéniles de ton fils et celles des autres enfants d’autrui, pour la construction de ce pays en friches.

Je ne veux pas seulement savoir l’identité des enfants, des femmes et des soldats qu’on décapite, démembre et ceux dont on profane les corps ; je veux, au-delà des logiques criminelles qui alimentent ce satanisme, cerner les dynamiques politiques qui en conditionneraient l’interprétation.


Je ne veux pas seulement établir les responsabilités respectives qui incomberaient à la diaspora et à la Communauté internationale dans la poursuite de ces tueries ; je m’élève aussi contre la duplicité et l’absence de volonté politique de nos dirigeants dans la résolution de ce conflit armé.

Je ne veux pas seulement savoir pourquoi l’on tue avec une telle frénésie et avec un tel cynisme ; je veux savoir aussi qui sont vraiment ces « Amazoniens » pour commettre de telles exactions. Je veux savoir si l’on peut sensément lutter pour la liberté, l’indépendance et s’adonner à autant d’atrocités, en prenant le risque, justement, d’hypothéquer le ralliement à sa cause indépendantiste.

Au-delà de tout, je me demande, dans mon for intérieur, pourquoi les parents des deux rives du Mungo acceptent que leurs enfants aillent s’entre-tuer tout en s’accusant réciproquement, en toute complicité, d’être cause de cette boucherie humaine.

Prof.,

Tu comprends par ailleurs que lorsque je dis des gens du gouvernement qu’ils maîtrisent, c’est juste une figure du discours, parce qu’ils sont réfractaires à la moindre critique qui pourrait avantageusement contribuer au débat. Mieux, ils interdisent le débat et mettent toute leur maigre force armée dans la balance, comme des candidats volontaires au suicide collectif…


Il faut pourtant se rendre à l’évidence que le fédéralisme est l’indépassable horizon qui n’aurait jamais dû cesser d’inspirer notre Union politique. Mais l’instinct vorace d’assimiler, d’exterminer, de tondre, de piller, de saigner et d’anéantir nos sœurs et frères de l’ex-Southern Camerouns est si enraciné dans nos institutions, que même cette option fédéraliste devient hypothétique, et nous courons tout droit vers l’abîme. Donc, je te donne en partie raison : à cause de nos œillères partisanes et de nos méthodes grossières de nouveaux « colons », dans le cœur des gens de Bamenda et de Buéa, même le fédéralisme ne peut plus se vendre si facilement au marché des valeurs négociables. À moins d’essayer… Mais pourquoi n’essaye-t-on pas quand même ? Soit !

Reconnaissons que le gouvernement a préféré la guerre à une négociation sérieuse, sincère et de longue haleine. Or, dans chaque guerre, chaque camp souhaite la victoire. De quel droit refuseriez-vous que les autres espèrent obtenir la victoire, c’est-à-dire leur indépendance de fait ?


Prof.,

Je reste opposé aux choix du gouvernement dans cette guerre civile et je pense que ton fils risque la mort pour rien ou, mieux, à cause de la méchanceté, de la haine et des turpitudes des gens qui décident à Étoudi. Je te prie de m’excuser de la brutalité de cette assertion. Ça peut paraître primesautier à tes yeux exercés à la philosophie la plus pure qui soit, mais ça ne manque pas de pertinence aux yeux ridés et larmoyants de nombreux Camerounais et des étrangers qui vivent les atrocités de cette guerre fratricide.

Les murs de compréhension qui délimitent nos différences idéologiques et doctrinales sur cette affaire me paraissent infranchissables. Le fossé est trop grand entre tes positions, moralisatrices d’inspiration kantiennes et spinozistes, et mes prétentions réalistes, révolutionnaires, voire « insurrectionnelles ».

Mon goût très prononcé pour la critique du régime en place, ce que tu juges sévèrement comme « anarchisme » de celui « qui défie crânement le pouvoir », et qui t’horripile tant, traduit simplement mon dépit et mon écœurement devant l’autorité politique autocratique, obèse et autiste qui nous dirige.


Prof.

Je ne vais jamais devenir froid, sous le prétexte d’être « sage » comme un philosophe. Le froid, c’est la mort. Il n’est pas vrai que le philosophe est celui qui demeure tranquillement sage, même si le bateau de la vie chavire. Il est faux que la véritable façon de philosopher est de « bien se tenir », pour éviter de mettre les gens mal à l’aise. Les philosophes, dans leur écrasante majorité, furent des sujets tourmentés et dont le verbe a toujours eu la particularité d’importuner au maximum les consciences ensommeillées de leurs contemporains. Tu es plus accoutumé à leur identité que moi d’ailleurs…. À la vue d’un souffreteux, d’un décapité, d’un enfant qui perd ses parents, non pas à cause de la fatalité mais pour des raisons de politique politicienne et de mafia d’État, lorsque le sang gicle, la puissance de la pensée est décuplée. À cet égard mes affections, mes états d’âme (mon impulsivité remarquée par toi), mon cynisme prétendu (la joie du méchant, qui s’épanouirait des malheurs d’autrui, d’après ton diagnostic à mon égard), la mondialisation, ses anti-modèles et tout ce que tu convoques n’ont rien à y voir avec la posture critique que j’adopte sur cette question de la guerre au Nord-ouest et au Sud-ouest et l’adhésion populaire qu’elle emporte. C’est que l’écrasante majorité des citoyens qui nous suit partage mes vues et vomit l’élitisme complice et meurtrier si caractéristique des universitaires de notre pays.


Lorsque tu prétends, en outre, que « les compétences de l’intellectuel ne vont pas jusque dans les zones de combats », et que ce n’est pas ma peine « qu’un civil enseigne à un professionnel de la guerre qu’il doit éviter les crimes de guerre » je comprends que ces mots hâtifs ne traduisent pas l’humilité caractéristique de la démarche philosophique générique ; ils sont plutôt l’expression d’un auto-musèlement de l’homme de pensée qui limite volontairement le rayon de son action critique pour sécuriser au maximum ses sorties.

Pour ma part, je ne me mettrai jamais une muselière de plein gré. L’expertise dans le domaine du discernement est incommensurable. Aussi ma critique est-elle sans fin dans le domaine de l’humain. Elle déboulonne les traditions les plus enracinées. Elle a pour enjeu de faire retourner dans leur tombe des ancêtres conservateurs trop exigeants à l’égard de leur postérité émancipée… D’où le « nuisible bavardage » qui me constitue. Ces mots sensés, versés dans l’espace public pour le débat républicain, n’ont pas de répondants et l’absence d’un écho favorable qui en valoriserait les contenus (les solutions proposées par l’intellectuel) provoque un tumulte indescriptible qui incommode toute la République, même dans les casernes… En fait, je suis à l’image des turpitudes géantes qui façonnent nos identités et nos institutions : ni mort ni vivant, jusque une écume qui subsiste, comme un insoutenable songe qui refuse de s’effacer…


Très respectueusement,

Fridolin NKE

Mon collègue philosophe :

– Okay. J’ai lu en sortant d’un long sommeil.

Merci beaucoup et bonne journée !

FIN !

Au final, ces échanges philosophiques mettent en lumière le travail social et politique qui nous incombe, à nous, universitaires et intellectuels, à savoir, conscientiser nos concitoyens. Conscientiser, cela revient à forcer le destin asphyxiant, par une critique assidue du fonctionnement des institutions et la dénonciation de la malgouvernance des régimes autocratiques et dictatoriaux, à s’arrimer aux espérances les plus solidement enracinées des peuples.




0 commentaire
originale.png
Newsletter: Déjà 3'000 inscrits!
Recevez chaque jour par email, les actus Camerinfos à ne pas manquer!
bottom of page